Mon Journal
Mister No, l'anti-héros de Manaus

Les personnages
Mister No est le surnom de Jerry (ou Jerome) Drake, pilote d'avion américain. Après la deuxième guerre mondiale, il a du mal à s'adapter à une vie civile. Aussi quitte-t-il les USA pour s'installer à Manaus où avec son piper, il offre ses services de pilote et de guide. Grand amateur de whisky, toujours sans le sou, dragueur impénitent, ce baroudeur se trouve mêlé à des histoires où il ne récolte que des coups en récompense de son idéalisme forcené. C'est un anti-héros, denrée plus que rare dans la bande dessinée petits formats. On le voit ainsi refuser de l'argent si l'origine en est douteuse, y compris s'il est dans le besoin (et il est TOUJOURS dans le besoin). Dès qu'il a quatre sous, il court les dépenser dans les bars en alignant les tournées générales, finissant ivre mort en compagnie de son compagnon de beuverie habituel : Otto Krüger. Mister No français N°1
Séducteur devant l'éternel, il ne compte plus les conquêtes féminines, mais refusent énergiquement une vie maritale incompatible avec ses aspirations de liberté. Il est régulèrement en conflit avec la maréchaussée locale qui lui reproche pêle-mêle ses fréquentes bagarres, ses états d'ébriété réguliers et ses incursions répétées dans des histoires plus ou moins douteuses.

Les aventures de Mister No se déroulent pendant les années cinquante à Manaus au Brésil. Or Manaus est une ville particulère car elle a connu des heures de gloire du temps de l'exploitation des hévéas pour en extraire le caoutchouc, mais cette prospérité a cessé dès l'invention du caoutchouc industriel. Il en résulte une atmosphère de ville fantôme hantée par sa gloire passée qui ajoute encore à la situation financièrement précaire du pilote américain. Tout le décor a l'air de se déglinguer : la ville qui n'en finit plus de se décrépir, son piper capricieux qui refuse de démarrer sans une douce caresse, les bars miteux où il se rince la glotte... A bien y regarder, Mister No est à la limite du baba-cool, et comme beaucoup de baba-cool, il prêche la non-violence, mais il ne faut pas trop l'énerver quand même...

Dès 1975 (1976 en France), Mister No prônait des valeurs de respect de la nature et des cultures locales et d'écologie qui nous semble naturelle aujourd'hui, mais qui étaient bien moins en vogue à l'époque. A l'instar d'autres séries Bonelli, on ne peut qu'être admiratif devant l'acharnement à présenter des histoires bien construites basées sur une documentation irréprochable. C'est ainsi que l'on apprend quantité de choses sur les indios et leurs coutumes, mais aussi sur diverses particularités des lieux visités par le héros. C'est une véritable encycopédie de l'Amazonie que nous présente cette série. Les dessinateurs se relaient et on peut apprécier plus ou moins l'un ou l'autre, mais la qualité générale reste bonne avec une note particulière pour le travail remarquable de Roberto Diso. Quand aux scénaristes, Sergio Bonelli a assuré l'essentiel des premiers épisodes, insufflant à la série une personnalité suffisamment forte pour qu'elle puisse durer encore de nos jours sans trop se dénaturer.

Il est entouré de quelques figures incontournables et récurrentes :

Otto Krüger dit "Teuton" ou "SS"
C'est un ex-soldat allemand très porté sur le maniement du couteau. Les deux compères ont partagé beaucoup de verres et d'aventures. A part Mister No lui même, c'est le principal personnage récurrent de la série. Il est un peu le versant noir de l'aventurier car il n'hésite pas à pratiquer le cynisme, voire la cruauté. Il a même gagné le droit à quelques aventures en solo en Italie (inédites en France).

Patricia Rowland Archéologue et jolie fille, elle occupe une place particulière dans le coeur de Mister No malgré un fort tempérament qui les poussent tous les deux à se prendre le bec régulièrement malgré un attachement plus que certain. On la retrouve de loin en loin dans les aventures du pilote. Chacune de leurs rencontres est l'occasion de les voir osciller entre amour et disputes.

MN1 : C'est le piper de Mister No, dont l'immatriculation apparait de temps à autres. Monture peu docile, elle rechigne plus qu'à son tour à démarrer et le pilote doit souvent se résigner à lui assener un violent coup de pied pour la convaincre. Ce n'est pas à proprement parler un personnage, mais c'est un peu le "Jolly Jumper" de notre héros. Il était donc indispensable d'en parler.

Les auteurs

Les auteurs de Zagor, Guido Nolitta (textes) et Gallieno Ferri (dessins), font paraître en juin 1975 en Italie (Editions Sergio Bonelli) la première aventure de celle qui devait être probablement une mini-série en 5 épisodes. Le personnage et l'ambiance (l'Amazonie dans les années 50) ont remporté un incroyable succès et la publication n'a jamais cessé (en Italie, du moins). Ferri, le créateur de Zagor, dessine la première aventure, mais il est déjà pris par d'autres séries (Zagor, surtout). Il se fait alors remplacer par d'autres dessinateurs dont Diso, Bignotti, Civitelli, Ricci, Monti ou Vitto. Nolitta (pseudonyme de Sergio Bonelli en personne) signe la plupart des scénarios, mais on peut y voir aussi la signature d'Alfredo Castelli, le créateur de Martin Mystère, C. Nizzi (Tex) ou Tizanio Sclavi qui a imaginé Dylan Dog. Aujourd'hui, la série a dépassé le 300ème épisode dans son pays d'origine (N°313 en juin 2001). Au rythme de 96 pages de BD par mois, les dessinateurs se succèdent pour tenir la distance et on peut citer Gallieno Ferri, Franco Donatelli, Franco Bignotti (de nombreux épisodes), Roberto Diso, V. Monti, Luigi Merati (Miki, Dolores), Vladimiro Missaglia (Brigade OVNI dans Sunny Sun), Bruno Marrafa, F. Civitelli, Angelo Maria, A.M. Ricci (Tex, Martin Mystère), Giorgio Montorio, V. Muzzi, Stefano et Domenico Di Vitto, Giovanni Crivello, M. Bianchini pour les épisodes français en tout cas.

Gallieno Ferri a réalisé toutes les couvertures italiennes jusqu'au N°143 (édition française), puis il a été remplacé par Roberto Diso (qui fait toujours les couvertures en Italie).

Les revues

Mister No
a eu son propre mensuel de janvier 1976 à avril 1990 pendant 171 numéros. La plupart des épisodes faisaient 82 pages jusqu'au N°145 avant de passer à 74 pages. Plus long que la majorité des autres séries abordées par Mon Journal, les épisodes de Mister No étaient tout de même tronqués par rapport aux originaux (comptant 96 pages comme la quasi-intégralité des séries Bonelli). Par conséquent, les histoires de Mister No étaient régulièrement à suivre, alors que Mon Journal proposait essentiellement des récits complets.

Les couvertures françaises de la revue sont des reprises (parfois retouchées) de l'édition originale.
N°5 édition turque
Le décalage de longueur d'épisodes entre les deux versions obligeront Mon Journal à en faire réaliser quelques une par des dessinateurs maisons tels que Guido Zamperoni (N°134 & 138), Francesco Gamba (N°111, 128, 145 & 162), Garcia (N°124), Enzo Chiomenti "Marco Polo" (N°45) et de nombreux anonymes.

Il faut aussi parler des 3 numéros (entre février1986 et février 1987) de Spécial Mister No proposant des rééditions des premiers épisodes de Jerry Drake, mais en commençant bizarrement au N°2 des aventures du pilote. Toutes les couvertures de cette éphémère revue sont d'origines françaises, mais elles ne furent pas les plus réussies.

Insolite

Les couvertures des N°56 & 57 sont identiques ainsi que celles des N°147 & 160. Le dessinateur français devait être en retard sur sa livraison... Toujours au chapitre des couvertures, les N°41 & 117 sont les deux seules couvertures où l'on ne voit pas Mister No. Elle sont toutes les deux dûes à des dessinateurs français, car en Italie c'est totalement impensable.

Le N°101 n'a que 72 pages au lieu des 82 habituelles. Le traducteur aurait-il eu lui aussi un problème ?

Les plus curieux auront noté que du N°28 au N°57, le titre Mister No s'était vu affublé sur la plupart de ces numéros d'un sous-titre "Pistes Sauvages" sans la moindre explication et sans changement du contenu de la revue. "Pistes Sauvages" était une revue western de Mon Journal qui a disparu fin 1975, c'est à dire juste avant l'arrivée de Mister No en France. On pouvait notamment y lire les aventure de Giddap Joe. On peut donc imaginer que Mister No a pris la suite de cette revue, mais pourquoi avoir attendu le N°27 pour le signaler ?

Non politiquement correct, il est assez étonnant que Mister No ait échappé à la censure car si l'on regarde bien, ce personnage fume (à l'époque, ce n'était pas très grave), il boit avec excès, se bagarre plus que de raison et prône une vie de farniente en dehors de toute cellule familiale (ce qui était beaucoup plus grave que de fumer). Il déclare détester la violence, mais se retrouve toujours embarqué dans les conflits les plus meurtriers, et il est personnellement responsable d'une quantité impressionnante de morts violentes. Les censeurs n'ayant pas les yeux en face des trous, ils n'y ont vu que du feu car il n'y avait pas de monstres effrayants et le noir et blanc oblitérait les excès sanguinolents. Finalement, on ne peut que les féliciter d'avoir oublié notre "Monsieur Non".

Concernant la censure ou l'auto-censure (rendue obligatoire par une loi française désuète sur ce sujet), elle n'est pourtant pas absente de Mister No. En possession de quelques numéros italiens, on pourra notamment constater comment certaines images ont été redessinées pour dissimuler quelques détails sans doute jugés trop violents. L'exemple ci-dessous montre par exemple comment l'édition française a remplacé une case où l'on voyait en gros plan des têtes réduites pour les remplacer par une vue d'étagère où elles sont moins présentes (en haut, l'édition italienne, en bas, l'édition française)

version italienne
version française

Plus étonnant par contre, est la suppression quasi-systématique de l'image initiale des épisodes. En effet, ce sont toujours de grandes et belles vignettes situant le lieu de l'action de l'histoire à venir. Sur cette image, on retrouve également le titre de l'épisode ainsi que le nom des auteurs (qui sont toujours indiqués en Italie). Il semble d'ailleurs que pendant longtemps, les éditeurs français de petits formats s'acharnaient à dissimuler le nom des auteurs, allant jusqu'à positionner le rectangle blanc contenant le prix de la revue sur la signature de l'artiste illustrant la couverture. Une démarche qui n'était pas propre à Mon Journal, loin s'en faut.

Dans un des premiers épisodes de Martin Mystère, on peut voir un Mister No vieillissant er bedonnant démarrer son piper à coup de pied. Son surnom n'est pas cité, mais il s'agit de la "Jerome Drake South & Central America Airlines". Un petit clin d'oeil sympathique de la part d'Alessandrini.

Séries Annexes

Peu de choses à dire sur le sujet car il n'y a eu que 2 séries annexes :

Giddap Joe: (N°1 à 144) Le western que l'on retrouve actuellement dans Capt'ain Swing, mais qui a aussi hanté les pages de la défunte revue "Pistes Sauvages" jusqu'en 1975.

Nic reporter: (N°145 à 171) Nic est reporter à la sauce Tintin, car il passe plus de temps à résoudre des énigmes et vivre ses aventures qu'à pondre des articles. On a pû relire brièvement ses aventures dans la nouvelle série d'Ivanhoé (janvier à octobre 2000).

Internet
N°309 édition italienne Pour tous les amoureux de ce personnage, il ne faut pas manquer le site à l'adresse : http://www.misterno.fr.st/ avec un index détaillé de tous les épisodes et un maximum de renseignements divers, y compris les éditions internationales italiennes, yougoslaves, turques, brésiliennes ou grecques (mais exclusivement sur Mister No et non sur les autres séries).

Consulter aussi le phénoménal site Unofficial Bonelli http://www.ubcfumetti.com/ où toutes les séries Bonelli sont décortiquées et une -bonne- place y est faite à Mister No. C'est un site en italien, mais de nombreuses pages sont traduites en français.
Enfin, il ne faut pas manquer le site officiel Bonelli http://www.sergiobonellieditore.it/ qui recense toutes les publications actuelles de l'éditeur, on y retrouve donc Mister No (et même Capt'ain Swing sous le nom de Kommandante Mark), le tout en italien. Une version anglaise est prévue, mais elle n'existe pas encore.

Bien que la revue ait cessé d'être publié depuis plus de 11 ans, Mister No conserve une forte cote de popularité (avec Janus Stark) auprès des amateurs de petits formats ainsi que l'atteste un sondage en ligne sur le site Pimpf.

En conclusion : à quand le retour de ce sympathique personnage dans les pages d'une revue Mon Journal ?

Dominik Vallet